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DONETSK, UN OPÉRA AU MILIEU DU CHAOS

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Alors que la guerre fait rage depuis plus de 10 mois dans cette ville de l'est de l'Ukraine, artistes et techniciens continuent à faire tourner l'opéra de Donetsk.

- REPORTAGE -

Carmen, Gisèle, Monsieur X : les représentations se succèdent sur l’immense scène du Donbass opéra de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine. Au programme : plus de  17 pièces, opéras et ballets.


Chaque jour près de 400 musiciens, danseurs, techniciens, costumiers, chanteurs, bravent le danger de la guerre pour continuer à faire vivre l’un des derniers lieux de divertissement et de culture de la ville. Voilà 10 mois que Donetsk, capitale du Donbass et première ville industrielle et économique de l'Ukraine, est déchirée par les combats qui opposent le pouvoir central de Kiev aux séparatistes pro-russes.


Samedi 14 février, alors que l’opéra faisait salle comble sept obus ont frappé au hasard en plein cœur de la ville, à seulement deux cent mètres de là. Malgré le danger qui se rapproche toujours un peu plus chaque jour, nombreux sont les artistes et techniciens qui refusent d’abandonner l’opéra. Mais pour combien de temps encore ?

Fatima, Natalia, Olga ou encore Valentina, ont guidé Walid Berrissoul et Laurent Pellé, les deux envoyés spéciaux d’Europe1, dans les couloirs de l’imposant bâtiment du début du XXe siècle, où malgré la guerre, la magie opère toujours.

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L’histoire de l’opéra de Donetsk a toujours été étrangement liée à la tragédie. Sa naissance, tout d’abord, en pleine seconde Guerre mondiale. Donetsk s’appelle à l’époque Stalino et s’apprête à connaître la fureur du IIIe Reich.


Les premières représentations débutent le 12 avril 1941 avec l'opéra du compositeur Mikhaïl Glinka Ivan Soussanine, héros national russe. Le premier ballet, lui, se tient le 7 août suivant avec Laurencia d’un autre compositeur russe : Alexander Krein.

Mais seulement quelques mois après l’inauguration, les velléités d’Adolf Hitler de conquérir l’URSS stoppent net l’activité de l’opéra. Le führer lorgne la région industrielle du Donbass et ordonne l’invasion de l’Union soviétique, plus connue sous le nom de l’opération Barbarossa. Une opération qui sera le déclencheur de la guerre, non plus européenne, mais mondiale.


Une partie de la troupe de l'opéra de Donetsk est alors évacuée vers le Kirghizistan, où elle donne des concerts pour les blessés dans les hôpitaux et les casernes. Il faudra attendre l’hiver 1944 pour que la troupe regagne Donetsk. Les Allemands ont alors quitté le Donbass. Si elle a dû fuir dans le passé, aujourd’hui, la troupe refuse de quitter l’opéra. Pourtant les obus tombent toujours plus près. Olga, violoniste de l'opéra, se souvient très bien des dernières explosions du 14 février. 

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"On ne savait pas ce que c'était, on a entendu une explosion. Mais on a continué à jouer le spectacle, Mister X de Kalman."

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Depuis le premier étage, quelques notes de piano s'échappent par l'entrebâillement de la porte du studio de danse. 


Les élèves s'entrainent et répètent le prochain ballet qui sera joué sur la scène de l'opéra. En ce moment les jeunes danseuses travaillent le ballet romantique Giselle. Un ballet en deux actes composé par le Français Adolphe Adam.


A cause du cessez-le-feu, les représentations n'ont plus lieu le soir. Les habitants de Donetsk viennent donc au théâtre en pleine journée. Une parenthèse de quelques heures pour oublier la guerre. 



Cristina n'est pas la seule à rêver de la paix. Mais en attendant que la folie cesse, il faut chaque jour trouver la force de continuer. Etrangement, la guerre impose ses familiarités.


Fatima, la cantatrice, arrive désormais à différencier les tirs d'artillerie. "Nous avons tous appris à identifier les tirs d’artillerie. Quel type d’obus ? Dans quelle direction ? Est-ce que ça s’approche ? Est-ce que ça s'éloigne ? Le sifflement n'est pas le même", confie la jeune femme de 30 ans. Malgré les risques, cette jeune maman n'imagine pas abandonner l'opéra. "Je veux tout faire pour que la vie culturelle continue ici, pour que les gens s’épanouissent", poursuit-elle en rangeant ses costumes de scène.

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"Moi je veux devenir une danseuse célèbre. Je danserai au Bolchoï ou même en France"

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 "Je veux tout faire pour que la vie culturelle continue ici"

Dans la salle voisine, c'est la metteur en scène Valentina Vladimirovna Kourktchi-Maksina qui travaille avec l'une des cantatrices qui interprètent Carmen dans l'opéra éponyme.

 

C'est avec le sourire et les bras grands ouverts qu'elle ouvre la porte de sa salle de répétition. "Tant d'hommes ici", plaisante la vieille dame, qui travaille depuis 40 ans à l'opéra. Puis elle reprend son air sérieux. Les artistes ont du travail, il faut les laisser travailler.

Si l'ambiance peut paraître détendue, la troupe de l'opéra de Donetsk n'oublie les souffrances par lesquelles elle est passée. Au mois d'octobre dernier, un obus a détruit une grande aprtie des décors de l'opéra de Richard Wagner Le hollandais volant.


"Notre stock de décors était dans un autre quartier de Donetsk. Un obus est tombé. Cela a provoqué un incendie, et beaucoup de décors ont brûlé", explique Valentina, pendant que artistes font une pause.


Cet incident a coûté la vie du directeur de l'opéra. Vasily Ryabenky dirigeait le théâtre depuis plus de 20 ans. Quelques jours après la destruction des décors par le bombardement, l'homme de 55 ans a succombé à une crise cardiaque.  "Il venait d’apprendre que le stock de décors, qui coûtait très cher, avait été ravagé par le feu", se souvient Natalia Kovaliova, directrice adjointe du théâtre. "Cela lui a été fatal". 


CRISTINA

Cette jeune danseuse de 13 ans rêve une artiste célèbre. Si la guerre continue en Ukraine alors elle pense partir avec sa famille. L’idéal pour ce petit rat de l’opéra ? Saint Pétersbourg. "Là-bas, il y a une école de ballet".

Elève assidue, elle ne manquerait un cours sous aucun prétexte. Et si les bombardements sont trop proches alors elle simplement qu’elle évite de se placer à la barre à côté des fenêtres, pour éviter d’être blessée.

 

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Si la troupe essaie d'oublier la guerre, certains artistes ne peuvent s'empêcher de se demander s'ils doivent rejoindre les rangs de ceux qui se battent. C'est le cas de Artiom Alifanov, soliste principal de l'opéra.


Le jeune artiste confie ne pas saisir toutes les subtilités de cette guerre et du jeu politique qui se déroule en coulisse, mais pour lui les miliciens sont là pour défendre la population." J’ai réfléchi à les rejoindre, mais je suis marié et ma femme ne veut pas que j’aille me battre", confie-t-il à demi-mot, sous l'oeil mécontent de son professeur.

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"J’ai réfléchi à les rejoindre, mais je suis marié et ma femme ne veut pas que j’aille me battre"

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Avec le cessez-le-feu mis en place le 15 février, la troupe espère pouvoir reprendre un rythme "normal". Et puis peut être qu'un jour les représentations pourtant à nouveau avoir lieu le soir.


Mais si les combats reprenaient de plus belle, alors certains artistes et techniciens pourraient décider de quitter l'opéra et partir vivre loin de Donetsk, comme l'ont fait leurs prédécesseurs en 1941.

La salle de spectacle n'a pas perdu de son faste. Une gigantesque coupole domine le public assis au balcon.

Les couturières jouent un rôle essentiel. Avec la guerre, il est difficile de renouveler les stocks alors il faut recoudre, réparer, réutiliser.

En attendant que les ballerines les enfilent avant d'entrer en scène, les tutus sont soigneusement accrochés au plafond pour éviter qu'ils s'abiment.

En dehors des heures de représentations, le grand hall est vide et silencieux. Seules quelques notes de musique s'échappent des salles de répétition.

Au guichet une habitante de Donetsk vient acheter ses places de spectacles accompagnée de ses deux enfants.

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REPORTAGE

Walid Berrissoul



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Laurent Pellé


TEXTES ET REALISATION

Maud Descamps



GRAPHISME

Mikaël Reichardt